Carnaval de Brumado, Bahia (photo Por Aqui e Là-bas)
L'intervalle carnavalesque ne pouvant pas être éternel, Por aqui e Là-bas (en français) revient à la vie. Et rien de mieux que de conclure ses congés par un petit récit de ces derniers. Tel un employé de bureau expliquant de A à Z son weekend accoudé à la machine à café, nous allons vous conter le nôtre. Alors, partons pour Brumado, dans le sud de l'Etat de Bahia, 'petite' ville de 70 000 habitants qui a vibré pendant quatre jours au rythme des marchinhas du Carnaval.
Lorsqu'on évoque le Carnaval brésilien, la première image qui surgit est la carte postale du Sambadromo de Rio de Janeiro, cette arène accueillant chaque année les écoles de samba qui concourent pour le titre de la meilleure institution. Pour ceux qui ont eu la chance de poser les pieds en terres brésiliennes, d'autres exemples reviennent souvent comme le Carnaval d'Olinda et son frevo endiablé ou encore celui de Salvador et ses trios eletricos, camions dont la taille n'a d'égale que le son sortant des gigantesques enceintes qui ornent leurs parois. Mais, on oublie souvent que le Carnaval au Brésil ne se cantonne pas qu'à ces quelques villes touristiques.
Au pays de la samba, la fête est à chaque coin de rue de presque toutes les villes. La folie carnavalesque n'est pas le monopole des capitales, elle s'étend chaque mois de février à l'intérieur des terres et enveloppe le Brésil de son ivresse musicale et costumée. C'est le cas à Brumado, dans le sud de Bahia. Privée de Carnaval pendant trois ans, la ville a renoué avec l'événement le plus important de l'année. La fête se déroule pendant quatre jours, du samedi soir au mercredi matin.
Un retour aux traditions célébré en grandes pompes. Tout le centre de la ville est mis à contribution. Sur la place de l'église, des petites baraques bâchées aux couleurs jaunes et rouges de l'une des bières nationales se dressent et entourent un kiosque à musique qui ponctue l'esplanade pavée transformée en piste de danse. A sa droite, une rue descend et enlace un ensemble de bâtiments commerciaux. Sur chacune des marges, on trouve de petits bars et autres sandwicheries improvisées, chargées d'éteindre la faim et la soif des noctambules. En contre-bas, une autre rue dessine le trajet des trios eletricos qui cracheront quatre jours durant les succès de l'année et de toujours.
Au milieu du parcours se dressent deux grandes structures appelées camarotes. A l'intérieur, des bars servant des boissons et de la nourriture à volonté. On y trouve une piste de danse pour se déhancher sur les rythmes balancés par un DJ. Pour y accéder, il suffit d'acheter un t-shirt faisant office de ticket d'entrée. La chose paraît simple mais le prix (400 reais environ) se charge de faire la sélection. Du haut de ces loges, ceux qui ont pu se procurer une camisa dominent et observent le petit peuple se divertissant. Même chose autour des trios. Une corde entoure ceux qui ont payé pour suivre le camion chantant et les sépare de ceux qui n'ont pas pu s'offrir le t-shirt du bloco. Si le Carnaval et ses adjudants permettent d'oublier les soucis du quotidien le temps de quelques jours, ils rappellent à chaque instant l'un des principaux : l'inégalité sociale et raciale qui ternit l'image multicolore du Brésil.
Que la fête commence !
En fin d'après-midi, le centre-ville, jusqu'alors paisible, s'anime. Même l'église d'un bleu apaisant rougirait si elle le pouvait. Le petit kiosque à musique accueille les premiers groupes qui entonnent des chansons traditionnelles, les fameuses Marchinhas, dont certaines sont même connues de tous dans l'Hexagone. Les cuivres soufflent des mélodies entêtantes et les percussions rythment les sautillons des participants. Cerveja gelada (bière gelée) dans une main et espetinho (brochette de viande, de poulet, etc.) dans l'autre, on atteint bientôt le bonheur.
Tout le monde sautille et même le club du troisième âge démontre sa jeunesse éternelle en lançant des farandoles zigzaguant dans la foule. Le Carnaval touche au cœur toutes les générations. Les filles de 15 ans et les dames de 70 ans se sont pomponnées comme à 20 ans. Les hommes, quelque soit leur âge, rient tous à pleine gorge en chantant les ritournelles festives aux paroles parfois olé-olé. Sur la petite place, les générations et les différences s'effacent pour laisser la place à la diversion générale.
Sur la place de l'église, marchinhas et farandoles (vidéo Por Aqui e Là-bas)
Au loin, sur l'avenue, on voit s'avancer une marée humaine. Cette foule, au pas cadencé, s'est amassée autour d'une gigantesque arche sonore sur laquelle un groupe local fait vibrer cordes et percussions. Il reprend des groupes de légende comme Chiclete com Banana, Margareth Menezes, Ivete Sangalo ou les tubes de pagode baiano du moment. Le passage du trio eletrico à proximité de l'église oblige les autres groupes à se taire pour quelques minutes. Qu'importe, les amoureux de marchinhas ne se font pas prier pour danser sur des musiques modernes. Les enceintes hurlent mais les gens, eux, ne saturent pas. Suivant le mastodonte musical, les participants parcourront les rues de Brumado la nuit durant, jusqu'au lever du jour.
L'énorme trio elétrico avance lentement entouré par la foule (vidéo Por aqui e Là-bas)
Il est 5 heures du matin. On entend encore le trio arpenter les rues de la petite ville de l'intérieur. Sur la scène qui fait face à l'église, un groupe s'installe. Bracelets et manteaux en cuir, par une chaleur encore forte, les musiciens semblent répéter leur gamme. Le public a changé. Sur les pavés a pris place le peuple alternatif de Brumado. Il est venu écouter du rock. Une aubaine pour les amateurs de disto et de riffs massifs dans une région où ce style n'est pas très représenté. Le set commence. Le chanteur semble avoir pris de plein fouet l'ivresse du Carnaval et peine à tenir sur ses jambes. Le bassiste demande d'augmenter les retours à l'ingé son... parti boire une bière. C'est rock'n roll. C'est la fin du Carnaval et, déjà, on lui dit 'A l'année prochaine !'.
Gauthier Berthélémy