Les troupes d'élite sont entrées dans la favela de Jacarézinho, à Rio de Janeiro (photo : Victor Silva) |
Cette semaine, la police,
appuyée par l'armée, a envahi deux favelas de Rio de Janeiro. Cette
opération, qui a mobilisé 2000 hommes et duré 20 minutes, est la
continuation de la stratégie adoptée depuis 2008 par les forces de
police pour pacifier les quartiers défavorisés de la Ville
Merveilleuse. L'occasion pour nous de revenir quelques années en arrière, à l'origine de la pacification des favelas.
Les hommes en noir de la BOPE, rendus
célèbres par le film Tropa de Elite, ont cette fois-ci pris le contrôle
des favelas de Manguinhos et de Jacarézinho. La Coupe du Monde FIFA
et les Jeux Olympiques approchant, ce type d'intervention devrait se
multiplier. Déjà en novembre 2010,
les télévisions du monde entier retransmettaient des images de
guerre civile à Rio de Janeiro. La police et les tanks de l’armée
pénétraient dans plusieurs favelas cariocas pour y déloger
les trafiquants qui régnaient sur les morros. Rafael Pacheco,
officier de la Police Fédérale brésilienne depuis 1993, était
alors sur place pour appuyer ses collègues envoyés dans ces
bidonvilles. Professeur de droit pénal, récompensé par le Congrès
pour sa lutte contre le crime organisé par le Prix Juiz Alexandre
Martins de Castro Filho, du nom d’un de ses amis assassiné lors
d’une opération, il nous expliquait en mars 2011 le rôle des
invasions policières et sa vision de l’avenir qui se dessine dans
les favelas de Rio de Janeiro.
Pourquoi avoir déployé
tant de moyens pour entrer dans les favelas ?
Les
opérations de novembre 2010 n’étaient pas les premières, mais
elles ont été les plus impressionnantes. Le niveau de résistance
armée est si fort dans le Complexo do Alemão (l’une des
favelas envahies par la police en 2010) qu’il a fallu 3000
hommes pour intervenir là-bas ! Ce n’était jamais arrivé.
Généralement, les opérations à Rio de Janeiro mobilisent 200, 300
hommes. En plus, nous avons utilisé des tanks, ce qui est
incroyable. Nous ne faisons jamais ça dans un endroit normal. Mais,
une favela n’est pas un endroit normal ! Là-bas, il est
impossible de construire des égouts, d’embaucher un professeur
pour y faire cours… Mais attention, ces interventions sont civiles.
C’est très important de le souligner : nous n’avons donné
aucun pouvoir à l’armée. Mais le plus étonnant, c’est qu’il
n’y a eu que peu de morts. Est-ce que les trafiquants devaient
mourir ? Oui. Est-ce que je voulais les voir morts ? Oui.
Mais, est-ce que l’État peut faire cela ? La réponse est
non. S’il se permet de tuer, il devient alors un assassin et nous,
policiers, nous le devenons également. Ne pas les avoir tué, c’est
donner la preuve que nous sommes civilisés. S’il y a eu si peu de
morts, c’est parce que nous les avons prévenus. Désormais, la
politique de sécurité brésilienne refuse la violence automatique.
On a employé de gros moyens mais nous avons su gérer la situation
sans bain de sang.
De quelle manière les
interventions de novembre 2010 vont permettre d’améliorer la
situation dans les favelas ?
En
changeant nos manières d’agir, nous avons atteint une nouvelle
étape. Avant, nous rentrions dans les favelas sans aucune finalité.
Maintenant, nous y allons pour améliorer la vie des gens. C’est le
grand enseignement des événements de novembre 2010. Les opérations
avaient trois objectifs : améliorer la vie des habitants,
changer le comportement des policiers et leur image dans la société
et, enfin, intégrer les favelas au reste de la ville de Rio de
Janeiro. Il s’agit d’implanter les services publics, permettre
aux habitants des favelas de profiter des mêmes avantages que les
autres citoyens brésiliens. Principalement les transports pour
faciliter cette intégration. Mais aussi, leur permettre de devenir
légalement propriétaire de leurs logements, qui ont été
construits sur la base d’une occupation illégale des sols. En
sécurisant et en limitant l’influence du trafic organisé, nous
pensons pouvoir apporter les conditions nécessaires pour cela. Mais
il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas d’éradiquer le
trafic de drogues, c’est tout simplement impossible. Il y aura
toujours une demande donc toujours une offre. Ce que nous voulons,
c’est le limiter pour atteindre le niveau acceptable pour
l’ensemble des citoyens.
Comment la ville de
Rio de Janeiro parviendra-t-elle à atteindre ces résultats ?
Nous
ne sommes pas allés faire le ménage dans les favelas pour repartir
immédiatement ! Pour atteindre ces résultats, nous avons mis
en place des unités spéciales chargées de superviser
l’installation des nouvelles infrastructures dans les favelas. Ces
unités s’appellent les UPP (pour Unités Policières de
Pacification). Elles doivent vérifier que l’argent débloqué
pour les favelas serve bien à la construction d’écoles,
d’hôpitaux, etc. et assurer une coexistence saine avec la
population. Bien sûr, elles sont composées de nouveaux agents.
Pourquoi ?
D'abord,
pour éviter que les favelas retombent dans les mêmes travers. On ne
peut plus se permettre de laisser apparaître des milices de
policiers corrompus qui prennent en otage les habitants. Il faut donc
du sang neuf, des éléments qui ne seront pas tentés de suivre les
mêmes procédés qu’auparavant. Puis, les officiers des UPP ont
tous une formation en sciences humaines et sociales. Ainsi, ils
peuvent comprendre l’environnement des favelas et auront un contact
plus facile avec les habitants. Ils sont formés et recrutés pour
cette finalité et ont une vision humaniste. Mais surtout, cela va
considérablement réduire les risques de bavure. Je vois mal des
policiers ayant déjà eu l’expérience d’une descente dans les
favelas rester tranquilles pendant leur mission. Par exemple, moi, je
ne pourrais pas y aller sans garder le doigt collé à la gâchette.
Le traumatisme est trop fort et ce n’est pas comme ça que
j’arriverais à maintenir de bonnes relations avec les habitants.
Il doit y avoir un contrôle, sinon, c’est la boucherie.
Comment ce contrôle
va-t-il s’effectuer ?
Il y
aura un bureau de plainte composé d’un personnel indépendant qui
enregistrera les réclamations de la population, si le comportement
des officiers de police n’est pas correct. Si on n’a pas une
bonne image dans la population, ça ne marchera pas. Nous
n’arriverons pas à nous faire respecter, ni à faire respecter les
favelas au Brésil car dans la tête des gens, favela égal bandits,
meurtres, drogues. Bien sûr il y en a, mais tout cela va
s’améliorer.
Vous êtes optimiste ?
Peut-être
le suis-je trop ! Mais, très franchement, depuis ma première
descente dans les favelas cariocas en 1993, je n’ai jamais vu ça !
La vie est devenue normale là-bas. Et cela donne des votes. C’est
très efficace électoralement. Alors, si tout cela donne des voix
pour les politiques, si la population dans son ensemble est
satisfaite, pourquoi changer ? Pourquoi ne plus financer ?
C’est pour cela que je pense que les UPP vont s’installer dans la
durée et que la vie dans les favelas va s’améliorer pour de bon.
Dilma Rousseff
(Présidente du Brésil) a émis le souhait d’étendre ces
opérations et le modèle des UPP à l’ensemble du pays. Qu’en
pensez-vous ?
Si
elle veut le faire c’est que l’idée bonne ! Mais,
attention : ce qu’il s’est passé en novembre 2010 ne peut
être fait qu’à Rio de Janeiro. L’opération a été montée par
des Cariocas pour les favelas cariocas. Les favelas de Rio de Janeiro
n’existent qu’à Rio de Janeiro. Si à l’avenir des opérations
doivent être menées dans des favelas qui se trouvent dans d’autres
villes ou d’autres régions, il faudra les adapter au terrain. La
configuration des favelas change, le comportement, la culture de
leurs habitants changent également en fonction de la zone. Alors
oui, je pense que cela peut se faire mais non sans y réfléchir à
l’avance.
Propos recueillis par Gauthier Berthélémy et Jean-Mathieu Albertini,
mars 2011, Lyon.
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