jeudi 18 octobre 2012

Complexo do Alemão, Jacarézinho, Manguinhos. Quand la police entre dans les favelas

Les troupes d'élite sont entrées dans la favela de Jacarézinho, à Rio de Janeiro (photo : Victor Silva)



Cette semaine, la police, appuyée par l'armée, a envahi deux favelas de Rio de Janeiro. Cette opération, qui a mobilisé 2000 hommes et duré 20 minutes, est la continuation de la stratégie adoptée depuis 2008 par les forces de police pour pacifier les quartiers défavorisés de la Ville Merveilleuse. L'occasion pour nous de revenir quelques années en arrière, à l'origine de la pacification des favelas. 


Les hommes en noir de la BOPE, rendus célèbres par le film Tropa de Elite, ont cette fois-ci pris le contrôle des favelas de Manguinhos et de Jacarézinho. La Coupe du Monde FIFA et les Jeux Olympiques approchant, ce type d'intervention devrait se multiplier. Déjà en novembre 2010, les télévisions du monde entier retransmettaient des images de guerre civile à Rio de Janeiro. La police et les tanks de l’armée pénétraient dans plusieurs favelas cariocas pour y déloger les trafiquants qui régnaient sur les morros. Rafael Pacheco, officier de la Police Fédérale brésilienne depuis 1993, était alors sur place pour appuyer ses collègues envoyés dans ces bidonvilles. Professeur de droit pénal, récompensé par le Congrès pour sa lutte contre le crime organisé par le Prix Juiz Alexandre Martins de Castro Filho, du nom d’un de ses amis assassiné lors d’une opération, il nous expliquait en mars 2011 le rôle des invasions policières et sa vision de l’avenir qui se dessine dans les favelas de Rio de Janeiro.


Pourquoi avoir déployé tant de moyens pour entrer dans les favelas ?

Les opérations de novembre 2010 n’étaient pas les premières, mais elles ont été les plus impressionnantes. Le niveau de résistance armée est si fort dans le Complexo do Alemão (l’une des favelas envahies par la police en 2010) qu’il a fallu 3000 hommes pour intervenir là-bas ! Ce n’était jamais arrivé. Généralement, les opérations à Rio de Janeiro mobilisent 200, 300 hommes. En plus, nous avons utilisé des tanks, ce qui est incroyable. Nous ne faisons jamais ça dans un endroit normal. Mais, une favela n’est pas un endroit normal ! Là-bas, il est impossible de construire des égouts, d’embaucher un professeur pour y faire cours… Mais attention, ces interventions sont civiles. C’est très important de le souligner : nous n’avons donné aucun pouvoir à l’armée. Mais le plus étonnant, c’est qu’il n’y a eu que peu de morts. Est-ce que les trafiquants devaient mourir ? Oui. Est-ce que je voulais les voir morts ? Oui. Mais, est-ce que l’État peut faire cela ? La réponse est non. S’il se permet de tuer, il devient alors un assassin et nous, policiers, nous le devenons également. Ne pas les avoir tué, c’est donner la preuve que nous sommes civilisés. S’il y a eu si peu de morts, c’est parce que nous les avons prévenus. Désormais, la politique de sécurité brésilienne refuse la violence automatique. On a employé de gros moyens mais nous avons su gérer la situation sans bain de sang.

De quelle manière les interventions de novembre 2010 vont permettre d’améliorer la situation dans les favelas ?

En changeant nos manières d’agir, nous avons atteint une nouvelle étape. Avant, nous rentrions dans les favelas sans aucune finalité. Maintenant, nous y allons pour améliorer la vie des gens. C’est le grand enseignement des événements de novembre 2010. Les opérations avaient trois objectifs : améliorer la vie des habitants, changer le comportement des policiers et leur image dans la société et, enfin, intégrer les favelas au reste de la ville de Rio de Janeiro. Il s’agit d’implanter les services publics, permettre aux habitants des favelas de profiter des mêmes avantages que les autres citoyens brésiliens. Principalement les transports pour faciliter cette intégration. Mais aussi, leur permettre de devenir légalement propriétaire de leurs logements, qui ont été construits sur la base d’une occupation illégale des sols. En sécurisant et en limitant l’influence du trafic organisé, nous pensons pouvoir apporter les conditions nécessaires pour cela. Mais il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas d’éradiquer le trafic de drogues, c’est tout simplement impossible. Il y aura toujours une demande donc toujours une offre. Ce que nous voulons, c’est le limiter pour atteindre le niveau acceptable pour l’ensemble des citoyens.


Comment la ville de Rio de Janeiro parviendra-t-elle à atteindre ces résultats ?


Nous ne sommes pas allés faire le ménage dans les favelas pour repartir immédiatement ! Pour atteindre ces résultats, nous avons mis en place des unités spéciales chargées de superviser l’installation des nouvelles infrastructures dans les favelas. Ces unités s’appellent les UPP (pour Unités Policières de Pacification). Elles doivent vérifier que l’argent débloqué pour les favelas serve bien à la construction d’écoles, d’hôpitaux, etc. et assurer une coexistence saine avec la population. Bien sûr, elles sont composées de nouveaux agents.

Pourquoi ?

D'abord, pour éviter que les favelas retombent dans les mêmes travers. On ne peut plus se permettre de laisser apparaître des milices de policiers corrompus qui prennent en otage les habitants. Il faut donc du sang neuf, des éléments qui ne seront pas tentés de suivre les mêmes procédés qu’auparavant. Puis, les officiers des UPP ont tous une formation en sciences humaines et sociales. Ainsi, ils peuvent comprendre l’environnement des favelas et auront un contact plus facile avec les habitants. Ils sont formés et recrutés pour cette finalité et ont une vision humaniste. Mais surtout, cela va considérablement réduire les risques de bavure. Je vois mal des policiers ayant déjà eu l’expérience d’une descente dans les favelas rester tranquilles pendant leur mission. Par exemple, moi, je ne pourrais pas y aller sans garder le doigt collé à la gâchette. Le traumatisme est trop fort et ce n’est pas comme ça que j’arriverais à maintenir de bonnes relations avec les habitants. Il doit y avoir un contrôle, sinon, c’est la boucherie.

Comment ce contrôle va-t-il s’effectuer ?

Il y aura un bureau de plainte composé d’un personnel indépendant qui enregistrera les réclamations de la population, si le comportement des officiers de police n’est pas correct. Si on n’a pas une bonne image dans la population, ça ne marchera pas. Nous n’arriverons pas à nous faire respecter, ni à faire respecter les favelas au Brésil car dans la tête des gens, favela égal bandits, meurtres, drogues. Bien sûr il y en a, mais tout cela va s’améliorer.

Vous êtes optimiste ?

Peut-être le suis-je trop ! Mais, très franchement, depuis ma première descente dans les favelas cariocas en 1993, je n’ai jamais vu ça ! La vie est devenue normale là-bas. Et cela donne des votes. C’est très efficace électoralement. Alors, si tout cela donne des voix pour les politiques, si la population dans son ensemble est satisfaite, pourquoi changer ? Pourquoi ne plus financer ? C’est pour cela que je pense que les UPP vont s’installer dans la durée et que la vie dans les favelas va s’améliorer pour de bon.

Dilma Rousseff (Présidente du Brésil) a émis le souhait d’étendre ces opérations et le modèle des UPP à l’ensemble du pays. Qu’en pensez-vous ?

Si elle veut le faire c’est que l’idée bonne ! Mais, attention : ce qu’il s’est passé en novembre 2010 ne peut être fait qu’à Rio de Janeiro. L’opération a été montée par des Cariocas pour les favelas cariocas. Les favelas de Rio de Janeiro n’existent qu’à Rio de Janeiro. Si à l’avenir des opérations doivent être menées dans des favelas qui se trouvent dans d’autres villes ou d’autres régions, il faudra les adapter au terrain. La configuration des favelas change, le comportement, la culture de leurs habitants changent également en fonction de la zone. Alors oui, je pense que cela peut se faire mais non sans y réfléchir à l’avance.  

Propos recueillis par Gauthier Berthélémy et Jean-Mathieu Albertini,
 mars 2011, Lyon. 

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