Dimanche dans le Rosa Elze, São Cristovão, Sergipe, Brésil (Photo: G B ) |
Dimanche, 7h du matin. Les rues de mon
quartier ont les cernes d'une soirée bien arrosée. Sur le pavé, les cadavres.
Ceux des innombrables canettes de bière nationale ingurgitée la veille. Des
écorces de cacahuètes gisent sur les trottoirs formant un tapis marron le long
de la route. Les chiens , livrés à eux-mêmes, se promènent en bande à l'affût
de la moindre pièce de viande tombée du grill dans la bataille qui vient de
s'achever.
Tout le monde s'est endormi. Le quartier se
repose d'une chaude semaine de travail ponctuée par l'euphorie fiévreuse du
samedi soir. Pourtant, mon voisin d'en face, lui, ne dort pas. A 7h10, le grand
gaillard aux muscles bien dessinés sort sa moto, la gare devant l'entrée de sa
demeure et, comme tous les dimanches, dispose sur le sol les produits d'entretien pour la
laver. Pour rendre la tâche plus agréable, il pousse jusqu'à sa porte
une grande enceinte de plusieurs centaines de watts. Moderne, elle dispose
d'une entrée USB, permettant à l'utilisateur de diffuser plusieurs heures de
musique sans manipulation.
Alors commence le show. Pour ne pas brusquer
l'entourage, mon voisin entame la playlist avec du Bob Marley. Le reggae du roi
jamaïcain me réveille en douceur et me laisse me prélasser dans ce lit que je
ne veux vraiment pas quitter si tôt. Après quelques Get up Stand up, Woman no
Cry et autres Kaya qu'ils passent plusieurs fois, notre ami rend un autre
hommage, celui-ci surprenant, à la musique de Jah : Alpha Blondy.
Il est presque 8h. Les basses lancinantes de
la musique jamaïcaine ont aussi réveillé mes autres voisins. Plutôt que de
commencer une discussion animée qui pourrait déboucher sur un accrochage
sanguinolent, ces derniers procèdent au même rituel. Placement stratégique des
enceintes, branchement sur un nombre impressionnant de multiprises, choix
réfléchit des compact-disc, play, et le tour est joué. La cacophonie est
lancée. Les habitations du quartier se transforment tout à coup en stands
musicaux devant lesquels s'arrêtent parfois des badauds pour un brin de
causette ou un pas de danse. A l'heure de la gymnastique matinale, les gens de
mon quartier préfère le Axé au reggae. Rien de tel pour commencer la journée en
fanfare :
Pour rivaliser avec son voisin, tous les coups
sont permis. Nous avons déjà évoqué l'enceinte de 400w montée sur rebord de
fenêtre, ou sur pied pour les plus professionnels, l'ampli basse à lampes
converti en baffle de chaîne HI-FI, mais il y a aussi la voiture. En deux trois
mouvements, le moyen de locomotion se transforme en disco-mobile. On ouvre le
coffre, retire la plage-arrière, allume l'auto-radio et les énormes enceintes
commencent à cracher les mélodies du moment. Il est 10h, la bière fait son
apparition et les premières effluves de viande grillée chatouillent les
narines. Tables et chaises sont installées sur les trottoirs qui prennent des
allures de terrasses improvisées. Amis et familiers se joignent progressivement
aux maîtres des lieux. Des automobiles, on entend sortir le son répétitif
accompagné de paroles suggestives du pagode. La température monte :
11h30. Les femmes s'activent en cuisine et les
maris s'occupent du charbon de bois et de la glacière. L'un remplira le
barbecue pour les grillades, l'autre sera remplie de soda et de bière. Sur les
tables les morceaux de bœuf, les espetinhos de poulet, la vinagrete et la
farofa composent le repas dominical. Bons vivants, les brésiliens les
consomment sans modération. La première fournée engloutie, on décide de la
digérer par une petite danse. Tout le monde se souvient trop bien du hit
planétaire de Michel Telo Ai se eu te pego. Passé de mode au Brésil, il a été
remplacé par un tube non moins bouffeur de crâne et entraînant. Découvrez
maintenant le Tchu Tcha Tcha :
15h. On ne compte plus les tournées de
barbaque et de rafraîchissant houblonnée qui se sont succédés en ce début
d'après-midi. Les enceintes continuent de tourner, sauf celles des voitures qui
ont perdues leurs batteries dans la bataille. Les plus avisés ont trouvé la
parade en laissant tourner leurs véhicules ou en branchant l'engin sur un
générateur. De tout bord, la musique parvient à nos oreilles. On assiste à une
compilation des différents styles musicaux brésiliens, de l'arrocha à la techno
brega en passant par les déjà cités axé et pagode. Florilège :
"vida de empreguete" (vie de femme de ménage) est devenue un véritable hymne pour les employées domestiques brésiliennes. Tirée de la novela Cheias de Charme, la chanson est conte le quotidien de ses femmes.
Il est 16h et commence alors le match de
football du dimanche. En général, la rencontre oppose deux grandes équipes su
championnat. La musique laisse sa place aux voix des commentateurs et les cris
de joie et de tristesse substituent les refrains. Je ne résiste pas à l'appel
du ballon rond et allume ma télé pour regarder les deux formations sur la
Globo. A chaque but, je m'amuse de voir les feux d'artifice lancés depuis les
cours des maisons pour célébrer l'équipe favorite. Parfois, à la fin du match,
le supporter acharné, joyeux d'avoir vu son club gagner, parade dans les rues
au son de l’hymne de la « torcida ».
Hymne du Flamengo, club de Rio de Janeiro dont le groupe de supporters est considéré le plus important du monde.
Presque 21h30, mes voisins, exténués par une
journée de repos, rentrent dans leurs chaumières. Un passage devant la
télévision et tous s’en vont se coucher. Et déjà, dans leurs rêves, le dimanche
prochain.
Gauthier Berthélémy
(vidéos youtube)
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