Militant du mouvement Não Pago! "Pour un transport collectif public, gratuit et de qualité" (Photo: Por aqui e Là-bas)
Une cinquantaine
de personnes se sont réunis mardi 6 mars au Terminal de bus D.I.A d'Aracaju
(Sergipe) pour protester contre l'augmentation annoncée du prix du transport
collectif. Au cri de « Não Pago ! », ces militants sont
parvenus, en partie, à obtenir ce qu'ils désiraient. Rencontre avec ce
mouvement loin d'être unique au Brésil.
Les récentes
déclarations explosives de Jerôme Valcke, secrétaire général de la FIFA, sur
les retards qui marquent l'organisation de la prochaine Coupe du Monde de
football, qui aura lieu en 2014 au Brésil, ne sont pas passées inaperçues.
Parmi les éléments de mécontentement évoqués, on trouve la vétusté des réseaux
de transports en commun. Si des bus en retard ou des métros surpeuplés peuvent
incommoder le touriste ou le supporter le temps d'un séjour au pays du
football, il est aisé d'imaginer qu'ils peuvent être aussi pénibles pour
l'usager brésilien.
Depuis près d'un
an, à Aracaju, un collectif d'étudiants s'efforce de faire valoir le droit de
chacun à bénéficier d'un transport collectif de qualité, à moindre coup. Sur
leurs t-shirts, on peut lire un slogan qui résonne comme un cri lancé pour
couvrir le bruit des moteurs : « Não Pago ! ». « Je ne
paye pas », une invitation à la désobéissance pour refuser l'augmentation
du prix du bus dans la capitale de l’État de Sergipe. A l'heure actuelle, il faut débourser 2,25 reais (soit 1 euro environ) pour utiliser les lignes de la ville. Annoncée en janvier
dernier par les entreprises qui exploitent le réseau de transport public, la
valorisation du prix de l'accès au bus a fait l'effet d'une bombe chez ces
rebelles du tourniquet.
Les manifestations
se sont multipliées, prenant la place des réunions jusqu'alors convoquées pour
discuter de modèles alternatifs pour le transport collectif dans la capitale sergipana.
Prenant exemple sur les différents mouvements du même genre qui ont marqué ce
début d'année 2012, Não Pago ! s'est levé de son siège pour prendre
d'assaut les terminaux de la ville. Le tout sans violence, contrairement à
d'autres capitales. Vinicius, membre du mouvement, s'est rendu à Terezina, dans
l’État du Piaui, capitale qui a été le théâtre de violents affrontements entre
les étudiants et les forces de l'ordre. Il raconte : « Là-bas, ils
ont brûlé neuf bus, c'était la folie ! ». Et les contestations se
sont multipliées comme une traînée de poudre à Recife ou encore à Rio de Janeiro.
Petit à petit, la
lutte apporte ses fruits. Le jour même du nouveau rassemblement dans le
terminal d'intégration D I A, une de ces gares routières qui permettent aux
usagers de changer de bus sans devoir payer de nouveau, Edvaldo Nogueira, maire
communiste de la ville, annonce le gel des prix du transport collectif. Une
victoire pour le mouvement qui ne compte pas s'arrêter en si bon chemin.
« Ce qu'il faut maintenant c'est un transport public de qualité,
améliorer les arrêts de bus, les terminaux d'intégration, affréter une nouvelle
flotte de bus » énumère Gilberto Sena, un des leaders de Não Pago !,
qui complète :« Aracaju quand il pleut, c'est un désastre, il n'y a
qu'à voir le terminal Atalaia ».
Situé au sud de la capitale, l'endroit se transforme en piscine
municipale quand arrivent les pluies automnales.
Pour porter ces
revendications, les étudiants ne sont pas seuls puisqu'ils ont été rejoints par
les organisations syndicales de travailleurs. Dans la foule, George Washington
Silva, responsable de la communication de la Centrale Unitaire des Travailleurs
de Sergipe (CUT), expose les raisons du ralliement au mouvement :
« Au Brésil, 37 millions de personnes ont déjà délaissé les transports
collectifs, non pas pour des raisons de confort, mais simplement parce qu'elles
n'ont plus les moyens de payer l'accès aux transports ». Et l'usage de
plus en plus remarqué du vélo dans les rues de la petite capitale n'a pas que
des motivations écologiques puisqu'il se pose désormais comme un mode alternatif
de déplacement pour travailleur-pauvre qui « arrive au travail déjà
fatigué avant même d'avoir commencé » ponctue le syndicaliste.
Le groupe de
manifestants s'est par la suite dirigé vers le siège de la SMTT, l'organe
chargé de superviser le réseau de transport, entre autres missions. Là, ils ont
demandé à rencontrer un responsable, en vain. Symboliquement et devant les
caméras de télévision, ils ont lu leurs revendications qu'ils ont remis à un
délégué de l’organe public avant de se donner rendez-vous pour d'autres
rassemblements.
Lecture des revendications au siège de la SMTT (Photo: Por Aqui e Là-bas)
Le gel des prix,
une mesure stratégique ?
Du côté de la CUT
comme des étudiants, les annonces de la mairie ne font pas diminuer la
motivation. Et c'est l'ensemble du mouvement qui pointe du doigt certaines
mesures proposées. Comme la décision de baisser l'ISS, l'Impôt sur les
services, que les entreprises de transports doivent payer chaque année.
« Certes il y a gel des prix mais avec une réduction d'impôt. Une fois de
plus les entrepreneurs ne sont pas passés à la caisse et se sont les usagers
qui payent » s'insurge George Washington Silva. « Nous pensons qu'il
n'était pas nécessaire de baisser l'ISS pour geler les prix. Si les entreprises
parviennent à sponsoriser tous les événements qui ont lieu à Aracaju, c'est
qu'elles ont de l'argent ! Elles n'avaient donc pas besoin de cette baisse
d'impôt » ironise de son côté Gilberto Sena qui complète : « et
dire que cette baisse d'impôt est bénéfique pour la population est un mensonge
car c'est moins d'argent dans les caisses de la ville, donc moins de moyens
pour les autres services publics et pour les salaires des
fonctionnaires ». En tout cas, tous s'accordent pour dire que
l'opportunité d'un gel des prix du transport tombe à pic en cette année
électorale . En octobre, les électeurs
brésiliens choisiront le prochain maire de la ville.
Alors, mesure
stratégique ou véritable effort pour un transport collectif au prix
juste ? Durant la conférence de presse convoquée le mardi matin par
l'équipe municipale, Edvaldo Nogueira a annoncé l'organisation dans les
prochains mois d'un appel d'offre pour départager les entreprises qui
exploiteront le réseau aracajuano. Fait inédit dans la capitale, l'élu
communiste s'est même permis de lancer un : « je suis le premier
maire dans l'histoire d'Aracaju à faire cela ». A y voir de plus près, la
baisse de l'ISS servirait donc, selon une source proche de la mairie, à attirer
de nouvelles entreprises locales ou d'autres États pour créer une concurrence
et ainsi tirer les prix vers le bas.
Une aubaine pour
l'usager qui pourrait l'être aussi pour le camp du maire sortant. En laissant
entrer d'autres entreprises sur le marché, Edvaldo Nogueira pourrait couper à la racine un éventuel soutien des entreprises de
transport à ses concurrents politiques qui briguent la mairie d'Aracaju. Avec
une nouvelle concurrence, les entreprises actuelles pourraient perdre des
forces voire même se voir refuser l'accès au réseau si d'autres entreprises
font des offres plus avantageuses. Leur soutien ne serait donc d'aucun effet
pour les autres partis. Une réforme aussi bénéfique que stratégique en
somme.
Gauthier Berthélémy
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